ILS ETAIENT DES MILLIERS, NUS ET MAIGRES ET TREMBLANTS: ÉMOTION ET SOUVENIRS MÊLÉS

Effry occupe une place à part dans les commémorations historiques thiérachiennes. Le 14 mai, en effet, ne commémore aucune bataille>. Pourtant de mars à octobre 1917, en moins d'un an, 681 prisonniers russes, roumains, belges et français y ont perdu la vie dans un camp comme ils en existent encore tant aujourd'hui encore. Cruel souvenir pour cette jeunesse qui, à l’image d’une génération – et quel que soit le camp des combattants- qui s’engagea dans la guerre avec détermination mais autant avec enthousiasme. La France est sûre de sa force. On marche sur Berlin, donner une leçon à l’Allemand. Ces soldats rejoignent le front « la fleur au fusil ». La plupart d’entre eux, Français, Russes, Belges ou Allemands, s’apprêtent à découvrir la ville, le chemin de fer avant de revenir au foyer, tous auréolés d’une victoire déjà acquise. L’enthousiasme guerrier emplit l’été 1914. Illusion, naïveté, patriotisme, idéalisme : le réveil sera terrible. En cette année 1917, justement, l’offensive de Nivelle, qu’il qualifie lui-même « d’attaque véhémente », cette offensive s’enlise. En avril, le temps est épouvantable. La surprise ne joue pas. Le chemin des Dames est un massacre.117 000 hommes périront. Nivelle avait promis la victoire. Ses soldats découvriront la boue et le sang. La montée des nationalismes, l’explosion de l’intolérance, s’explique d’abord par l’ignorance de l’Histoire et par l’oubli de ce que nous sommes. Face aux pulsions de l’instinct, opposons la connaissance, l’intelligence du cœur et celle de l’esprit. C’est en pensant à eux, Russes, Belges, Roumains, Français, hommes et femmes, que la commémoration d'Effry trouve sans doute un écho particulier. Dans cette société où les accidents d’avions, les séismes, les catastrophes naturelles se mesurent en centaine d’unités, brisons la sécheresse des statistiques, l’horreur mathématique. 681 noms et matricules ont été réécris à Effry. Mais c’est d’abord pour combattre l'anonymat, porteur d’oubli, que ces noms ont été maintenus sur la pierre. L’Histoire, dit-on, ne se répète pas, mais il lui arrive tant de fois de bégayer qu’il convient de demeurer vigilant. Comment oublier, en effet, que le 28 juin coïncidera avec l'anniversaire de l’assassinat d’un archiduc d’Autriche dans une ville qui s’appelait déjà Sarajevo ? Là-bas aussi, il existait hier des morts par centaines. Il existait des camps où l’on a affamé, torturé et massacré. Là-bas aussi, comme en 1945, on a dit que l’on ne savait pas. Là-bas aussi, ils étaient des milliers, nus et maigres et tremblants. Puissent donc, les morts d'Effry ne pas, ne plus l'être pour rien. Voilà enfin pourquoi, la chaîne humaniste et fraternelle qui nous unit depuis le 14 mai 1994, doit se renforcer.